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Juriste d'entreprise

C’est un métier en pleine mutation. Au fil des ans, les juristes d’entreprise ont acquis une réelle reconnaissance au sein de leur structure et gagné le respect des autres professionnels du droit.

Le métier

Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que les juristes d’entreprise français, qui sont près de 15 800 aujourd’hui, commencent, à l’image de leurs homologues anglo-saxons, à prendre toute leur place au sein des entreprises. Auparavant, ces cadres salariés étaient considérés comme de simples techniciens du droit. Mais la multiplication des réglementations et la mondialisation des échanges a fait de leur métier un instrument indispensable dans la gestion du risque et l’application du droit dans l’entreprise. Ils ont conquis une place croissante, dans les comités de direction notamment, où ils participent à la prise de décision. Certains directeurs juridiques font même partie de la direction générale. 

Le rapprochement avec la profession d’avocat a été maintes fois étudié depuis 20 ans sans aboutir. C’était encore le cas avec le projet de loi Macron, qui prévoyait en 2014 la création d’un statut d’ « avocat en entreprise », abandonné par la suite.

Missions

Le juriste d’entreprise doit défendre les intérêts de son employeur, veiller à la bonne application des lois et réglementations et prévenir les risques dans l’entreprise. Il a donc une forte activité d’assistance et de conseil, au long cours, grâce à sa présence au cœur de la société et à sa connaissance du secteur, contrairement aux avocats qui interviennent de manière ponctuelle. 

Ses domaines d’intervention sont très variés, même si le quotidien reste dominé par le droit des contrats.  Dans les petites entreprises, le juriste, souvent seul, pratique son métier en généraliste : droit du travail, baux commerciaux, droit des marques, droit économique, droit des sociétés… Dans les grosses entreprises, en revanche, nombre de juristes sont spécialisés et s’occupent d’une seule branche du droit, au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Les directions juridiques ont toutefois recours aux avocats pour des opérations spécifiques et pour certains contentieux. Car, à l’exception des conseils de prud’hommes et des tribunaux de commerce, le juriste d’entreprise n’est pas habilité à plaider). 

Interlocuteurs

Le juriste interagit avec la direction de l’entreprise, les autres services de l’entreprise (opérationnels et fonctionnels), les prestataires extérieurs (avocats, conseils), ainsi que toutes les personnes ayant un lien juridique avec l’entreprise (clients, fournisseurs, co-contractants, etc.).

Hiérarchie

Il n’existe pas de hiérarchie type. Selon la taille de la structure, le juriste peut être lui-même responsable du service juridique, ou dépendre du directeur juridique, qui peut à son tour être intégré à la direction administrative et financière ou, de plus en plus, à la direction générale.

Possibilités d’évolution 

On entre généralement dans l’entreprise en tant que junior. On devient ensuite senior et parfois responsable juridique, puis directeur juridique. Par ailleurs, il existe une passerelle entre les métiers de juriste d’entreprise et d’avocat : après huit ans d’expérience au sein d’une entreprise, un juriste peut demander son inscription au conseil de l’Ordre de son choix. 

Rémunération

Les salaires varient énormément selon la taille de l’entreprise, le secteur, la spécialité et les années d’expérience. Compter environ 2 000 euros mensuels pour un débutant généraliste dans une PME à 6000 euros s’il a plus de huit ans d’expérience. Selon l’étude de rémunération 2018 du cabinet Hays, un responsable juridique démarre à 65 000 euros annuels en moyenne en Ile-de-France, revenu qui peut doubler après huit ans d’exercice. Un directeur juridique perçoit en moyenne 80 000 euros annuels au départ en région parisienne et plus de 160 000 euros au-delà de huit ans en fonction. Des chiffres supérieurs aux moyennes de rémunération observées par l’AFJE. Dernièrement, les rares juristes formés aux données personnelles et au digital avaient la main pour négocier à la hausse

Accès à la profession 

Les entreprises recrutent principalement des juristes de niveau master 2. Dans les grands groupes, les candidats dotés d’un double cursus (droit et IEP, école de commerce…) et d’une expérience internationale ont la préférence. Une excellente maîtrise de l’anglais, voire d’une seconde langue étrangère, est indispensable, y compris dans les entreprises franco-françaises. 

Marché de l’emploi 

Le marché de l'emploi juridique en entreprise est en dent de scie. Certaines spécialités peuvent être très recherchées une année, du fait d’une réforme par exemple… et beaucoup moins l’année suivante. Mais le droit des affaires, des contrats, le droit social tirent toujours leur épingle du jeu. Les grands groupes cherchent des profils plutôt spécialisés, notamment en droit fiscal, droit des sociétés, etc. Les juristes généralistes très autonomes ont toutes leurs chances dans les PME, qui peinent parfois à attirer les Bac + 5, ou dans les ETI, qui peuvent être plus formatrices.
Les juristes formés à l’encadrement du digital et des données personnelles sont rares et très recherchés avec l’entrée en vigueur en mai 2018 du règlement européen sur la protection des données personnelles, ou RGPD.
Par ailleurs, de nouveaux postes émergent autour de la responsabilité sociale, de la conformité et de la gouvernance de l’entreprise, où les juristes chevronnés sont tout désignés. La loi Sapin II a conforté cette tendance. 

Pour aller plus loin 

Association française des juristes d’entreprise (AFJE), à Paris : www.afje.org

Portrait

Isabelle SALHORGNE, Directrice Juridique de branche d’un grand groupe international basé à Paris-La Défense

Le juriste d’entreprise est au cœur du processus décisionnel.
A bien des égards, le parcours d’Isabelle Salhorgne est une leçon. Il prouve qu’une carrière juridique est possible sans commencer par des études de droit, que les options sont plus variées qu’on ne croit et qu’il existe de vraies passerelles entre les métiers. A la condition, toutefois, d’avoir une détermination sans failles.

Isabelle Salhorgne a su très tôt qu’elle voulait  une carrière internationale. Mais elle se destine d’abord à la diplomatie. C’est à Science Po’ Paris qu’elle découvre le droit. Elle s’oriente ensuite vers une maîtrise de droit des affaires (Master I) à la Sorbonne (Paris I), tout en suivant en parallèle aux « Langues O’ » un cursus de russe, une langue encore rare à l’époque. Elle en profite pour multiplier les stages et les contacts dans un pays alors en construction.  Puis elle s’engage dans un LLM à Cambridge, en Grande-Bretagne. Riche idée : un des grands cabinets de la Place parisienne, Freshfields, Bruckhaus, Deringer, lui ouvre ses portes alors qu’elle n’est même pas encore entrée à l’Ecole de Formation du Barreau de  Paris (elle prêtera serment en 1996). Elle y fait ses premières armes dans le financement de projet et les fusions acquisitions pendant cinq ans, jusqu’à ce qu’un client, la Caisse des Dépôts et Consignations, la repère et lui offre un poste sur mesure pour sa nouvelle banque privée Ixis. Elle y voit « une formidable opportunité d’acquérir des connaissances sur les secteurs bancaire et public ». L’aventure commence. Trois ans plus tard, elle est contactée par un chasseur de tête pour le compte de la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement (BERD). Ses atouts ? Expérience, parfaite maîtrise de trois des langues officielles de l’institution, solide formation technique en cabinet et bonne connaissance du secteur bancaire. La famille part pour quatre ans et demi à Londres, où la russophone suit notamment l’Ukraine, un gros portefeuille de la banque. « C’était un milieu cosmopolite très rafraîchissant », se souvient-elle.

De retour à Paris, la question de redevenir avocate se pose. Mais elle sait que le statut d’associé exigera beaucoup de sacrifices personnels et risque de l’éloigner des dossiers opérationnels. Elle se tourne vers l’industrie et entre chez Total. « Finalement, je trouve qu’exercer à l’intérieur d’une entreprise est nettement plus intéressant. On participe vraiment aux décisions, à la structuration des dossiers et à leur mise en œuvre. » Recrutée en 2006 comme juriste senior « M&A et Financements », elle devient cinq ans plus tard responsable du département juridique Gaz au sein de la branche Amont avant de prendre en 2015 la tête de la direction juridique «Acquisitions, Cessions et Financements»Elle est depuis septembre 2016 directrice juridique de la nouvelle branche « Gas, Renewables & Power » du groupe, forte d’une centaine de spécialistes du droit basés au siège ou à l’étranger, qui porte l'ambition de la multinationale dans les énergies bas carbone (aval gaz, énergies renouvelables, métiers de l'efficacité énergétique). « Nous sommes au cœur de la stratégie de développement du groupe et gérons des dossiers extrêmement varié et innovants. C’est un challenge intellectuel et personnel permanent mais fascinant ».